Ban Huay Pu Keng : immersion au coeur d’un village Padaung
Le mot « Padaung » désigne un sous-groupe d’une tribu des montagnes, connu des anglophones comme « Kayan » et même plus précisément Kayan Lahwi. Si on précise, les Padaungs sont un sous-groupe d’une ethnie bien plus connue en Thaïlande, les Karens. De ce fait, et sachant pourtant qu’il y a aujourd’hui une connotation négative, ces deux termes, Padaung ou Kayan, désignent ce qui est communément appelé la tribu des « Karens aux longs cous » (je m’excuse par ailleurs de l’utiliser plusieurs fois dans cet article), ou pire, les « femmes girafes ».
Si on est plus précis, ils sont en fait un sous-groupe des Karenni ou Karens Rouge (en référence à la couleur dominante de leurs habits traditionnels), plus connues sous le nom de Kayah, comme l’État du Myanmar, qui justement borde la province frontalière de Mae Hong Son, où se trouve le village de Huay Pu Keng. Et justement, les Padaungs présents aujourd’hui en Thaïlande, comme plusieurs autres tribus Karens, sont originaires de la Birmanie voisine. Leur arrivée en Thaïlande est moderne puisqu’elle est essentiellement due à la guerre civile frappant le Myanmar.
En effet, depuis l’indépendance du Myanmar vis-à-vis du Royaume-Uni en 1948, de nombreux groupes sous-ethniques qui y vivaient ont fui vers les pays voisins en raison des tensions politiques déjà présentes à cette époque. Sous l’empire Britannique, ces dernières appréciaient le degré d’indépendance qu’on leur avait laissé, les Anglais se contentant du contrôle plus ferme des plaines centrales.
Mais avec l’arrivée au pouvoir des militaires, les généraux rêvent d’un pays unifié, où le modèle communiste, implique un lissage des cultures. Fermement opposé à cette vision, plusieurs ethnies Karens et d’autres, comme les Shans ou les Kachins, prennent les armes et finissent par entrainer leurs propres armées. Et lorsque les combats se sont intensifiées dans les années 80, 90, beaucoup ont fui à travers les montagnes pour échapper au conflit et au travail forcé imposé par la junte. Pour comprendre un peu mieux la situation des ethnies en Birmanie, vous avez cet article très intéressant.
C’est alors que, comme d’autres, une grande partie des Padaungs, connus pour leurs anneaux traditionnels en laiton autour du cou, se sont installés dans le nord de la Thaïlande. En somme, ce sont avant tout des réfugiés, ce qui m’amène à la question suivante.
Faut-il visiter les villages des « Karens au long cou » ?
La question mérite d’être posée, car si vous vous renseignez sur ce genre de visite, vous aurez probablement les mêmes débats qu’avec les éléphants en Thaïlande, à faire, pas faire ? où les voir dans les meilleures conditions, etc. Vous remarquerez l’analogie volontaire avec les animaux, car c’est justement l’un des reproches qu’on fait à ce genre de village, on a l’impression de visiter un zoo humain et le sentiment global est mitigé. Le ressenti est souvent un malaise général.
Si on regarde les critiques de plusieurs de ces villages, on lit ce genre de choses :
- « Bof, payer 100 Baths pour voir 4 boutiques, un peu fort ! » (et encore, 100 bahts c’est pas cher)
- « Lieux à attrape touriste. J’avais l’impression d’être dans un zoo pour visiter des « individus » coincés dans leur stand »
- « Autant visiter un parc d’éléphants ne pas trop déplu, autant ce village m’a mis mal à l’aise » (voyez encore la comparaison avec les éléphants…)
- « Je pensais voir un village typique. J’avais pourtant lu les avis qui parlaient de zoo humain… Nous avons tout de suite du envie de fuir »
On a donc d’un côté ceux qui fustigent l’arnaque, en évoquant cette notion de mise en scène, de village vitrine, sans compter le fait de devoir payer pour finalement accéder à ce qui s’apparente à des magasins de souvenirs. Il y a aussi ceux qui, au contraire, acceptent « le jeu », car ça permet quand même de côtoyer et de rendre accessible une culture unique et peu représenté (un chiffre récent évoque pas plus de 600 Padaungs vivant en Thaïlande) sans avoir à faire X jours d’expédition dans la jungle.
Parmi les avis plus positifs, on retrouve notamment la notion que ces villages/attractions permettent au moins à ses habitants d’obtenir un revenu. Par exemple ce commentaire évoquant que « les touristes sont leur seule ressource ». Un autre, trouvé sur l’un de ses villages résume à lui seul ce dilemme, mentionnant ceci : « reconstitution d’un village Karen, alors ce n’est évidemment pas authentique mais reste intéressant, et étonnant ». Le commentaire se poursuit en se posant la question suivante « Alors faut il être gênés? Faut il boycotter comme le proposent certains? », précisant son point de vue en écrivant « que persécutés dans leur pays d’origine et pas complètement intégrés dans la société Thaï, leur seul moyen de subsistance est de faire payer l’entrée et d’acheter les objets qu’ils fabriquent ou revendent ».
Et on touche là l’essence même de ce questionnement. Pour comprendre le pourquoi de ces villages, j’en reviens à cette notion de réfugiés. Les membres de ces tribus ont fui une guerre, et s’ils ont trouvé une terre d’accueil, c’est au prix de leur liberté, qui s’en ai retrouvée limité, tout simplement parce qu’ils ne sont pas intégrés au système Thaïlandais. Sans la nationalité Thaï, ils n’avaient pas accès à l’éducation et la possibilité de s’intégrer dans la société en trouvant du travail etc. En résumé, un village Karen à long cou = camps de réfugié.
Si les choses évoluent et que les nouvelles générations bénéficient pour beaucoup de la nationalité thaïlandaise, il reste encore des camps de réfugiés, semblables à de grandes « prisons ouvertes », où les déplacements à l’extérieur de la communauté sont restreints.
Mais dans le cas des Padaungs, c’est un peu différent. Cette installation impromptue chez le voisin a permis d’introduire leur culture distinctive dans la région. Des images emblématiques de femmes avec leur tenue traditionnelle et leurs colliers en laiton au cou et aux chevilles, ont rapidement fait le tour du monde. Avec cette exposition, les camps de réfugiés attisent la curiosité et deviennent une attraction pour les voyageurs en Thaïlande.
En tout cas, le gouvernement thaïlandais, alors en plein boom touristique, y voit une opportunité. Plutôt que d’avoir à supporter financièrement ces populations, sous forme d’aides, il y voit là une source de revenus et la possibilité pour ces gens devenus apatride. Car isolés dans leurs montagnes, ils vivaient auparavant essentiellement de l’agriculture. En devenant des réfugiés, ils deviennent apatride (même s’ils sont considérés officiellement comme des Birmans)ne possèdent plus les terres sur lesquelles ils vivent, donc exit les plantations. Alors comment subsister ?
Les femmes Padaungs sont alors placées dans des pseudos villages, parfois à quelques centaines du véritable camps de réfugiés. Elles ont alors posé pour des séances photo, tissé des écharpes en soie et vendu des objets artisanaux et autres souvenirs traditionnels. Une collecte ou droit d’entrée au village complétait ce nouveau business. Certaines s’en sortaient mieux que d’autres, car touchant un salaire mensuel si elles portaient les anneaux, sinon, elles dépendaient des seuls revenus de leur production. Sachant que selon les villages, nul ne sait quelle portion les habitants touchaient de la fameuse collecte d’entrée. Un article (en anglais) sur le témoignage d’une jeune réfugiée au milieu des années 2000 est édifiant :
Les femmes du village peuvent seulement tenir des stands pour les touristes et tisser des écharpes pour les vendre. Les hommes peuvent faire de la menuiserie pour notre communauté, mais ils ne sont pas autorisés à travailler. Mon père ramasse des canettes de bière vides et les vend pour avoir de l’argent. Les hommes ont honte parce qu’ils doivent vivre de l’argent que les femmes gagnent, alors beaucoup d’entre eux se soûlent au vin de riz parce qu’ils n’ont rien à faire.
Certaines agences de voyages, même aujourd’hui, s’en défendent et argumentent sur le fait que de nombreuses familles sont ici, incapables de partir car elles sont toujours réfugiées, et gagnent au moins un peu d’argent grâce au tourisme. Elles ne peuvent pas sortir de la zone qui leur a été attribuée et doivent rester dans les lieux gérés par la province, sauf si elles ont obtenu l’autorisation du bureau de leur district.
J’ai même lu sur le site d’un tour operator local :
Certains prétendent à juste titre que ces villages sont des « zoos humains ». Cela dit, il est peu probable qu’une légère diminution du nombre de visiteurs change la situation et les habitants des villages dépendent des visiteurs pour leurs revenus.
Pour autant, le mal est fait, et avec les années, la machine déraille et cette mauvaise réputation pousse un nombre croissant de tour-opérateurs et de touristes à boycotter ces villages vitrines en raison de leur nature exploitante. De ce fait, leurs habitants, sont encore plus poussés dans la précarité.
Ce même commentaire ajoutait ensuite : les villageois travaillent ensemble pour s’éloigner des modèles touristiques de « zoo humain » qui ont été associés à notre peuple en Thaïlande. Preuve s’il en est, d’une volonté de sortir de ce modèle d’exploitation. Et le site en question, parlait justement du village de Ban Huay Pu Keng.
Cette (très longue) introduction me semblait nécessaire pour comprendre le contexte dans lequel je me rendais à Huay Pu Keng. Il faut savoir que ma précédente visite dans un village « Karen au long cou » remonte à y’a plus de 10 ans. J’étais alors un nouvel expat qui n’avait pas encore toutes les connaissances accumulées depuis. C’était la 2e fois que mes parents venaient en Thaïlande et alors en visite de la région de Chiang Rai, je voulais aller voir un de ces fameux villages, pensant que ce serait atypique. Je savais pas dans quoi je m’embarquais…
Arrivé à l’entrée, je me souviens avoir dû payer une entrée à 300 bahts, en me faisant la réflexion que je trouvais ça abusé de payer pour rentrer dans un village. Et une fois dedans, ça laissait un goût encore plus amer quand on aperçoit cet alignement d’échoppes, vendant toutes plus ou moins les mêmes choses. Et où sont les maisons, les autres habitants (les hommes surtout) ? Rien d’authentique, je m’étais juré qu’on m’y reprendrait plus.
Alors en quoi Huay Pu Keng est différent ?
Déjà, il fait partie des trois villages originels qui se sont ouverts au tourisme dès le début, avec Ban Nai Soi et Ban Huay Seau Tao. Alors oui, dis comme ça, ça ne sonne pas forcément comme un argument de poids, car à part avoir été les premiers exploités, quelle différence ?
Et bien il y a au moins la primeur géographique. Car les premiers camps de réfugiés sont originellement créés à seulement quelques kilomètres de la frontière. La proximité avec leur terre natale et surtout des montagnes signifie qu’il reste beaucoup plus authentique que les villages Long Neck situés ailleurs, notamment dans les plaines. Dans ce cadre naturel, le village fonctionne presque comme n’importe quel autre village de tribu des montagnes en Thaïlande.
Notez que tous les autres « long neck village » l’ont été après que le gouvernement thaïlandais autorisât l’installation autour de plus grandes villes comme Chiang Mai, afin d’accroître l’intérêt touristique de ses régions, alors plus facile d’accès que Mae Hong Son. L’aspect mercantile y est alors encore plus poussé.
Aujourd’hui, on peut donc trouver plusieurs villages au nord de Chiang Mai, dont un à Pai, au moins deux, proche de Chiang Rai, un autre à côté de Thaton. En tout, j’ai repéré au moins 9 villages « long neck », souvent référencé comme village Karen et souvent mélangé avec d’autres tribus (c’était le cas dans celui visité près de Chiang Rai). Pour l’anecdote, on pouvait même avant le covid trouver un « village » du genre à Pattaya…
En sachant que j’allais enfin visiter la région de Mae Hong Son, je voulais « retenter ma chance », en espérant dénicher un village peut-être plus authentique. Pendant mes recherches, je n’avais pas trouvé Ban Nai Soi, situé au nord-ouest de Mae Hong Son (cherchez Kayan Taryar, qui semble aussi avoir de bons critères. Il est non loin d’ailleurs d’un grand camp de réfugié, qui s’étale dans les montagnes sur plus de 2 km de long et abritant apparemment 9 000 personnes ! L’autre, Ban Huay Seau Tao est repéré Long neck village market sur Google Maps et se trouve lui, au sud de Mae Hong Son. Mais il me semblait justement trop commercial, avec l’approche habituel comme on le reproche en général.
Restait alors Ban Huay Pu Keng, à seulement moins de 3 km à vol d’oiseau de Ban Huay Seau Tao (mais plus de 20 par la route). La note globale des avis est d’ailleurs un bon indicateur, au moins sur Google. Si les villages Karen les moins bien notés sont autour des 3.3, Huay Pu Keng atteint une note de 4.2. Parmi les raisons ? Le tourisme communautaire.
C’est un tourisme basé sur la participation active de la communauté, également appelé simplement CBT (Community-Based Tourism), perçu comme une industrie touristique plus durable et plus sensible à la culture. Partant du postulat que les Padaungs, mais aussi les Kayaws, l’autre tribu habitant ce village, possèdent des connaissances artisanales comme le tissage, la confection de bracelets, la sculpture sur bois ou bambou, pourquoi ne pas montrer comment c’est fait plutôt que de se contenter de vendre ?
Le tourisme communautaire a pour but d’offrir une expérience plus interactive avec les touristes, afin de mieux partager les coutumes et traditions. On y a alors développé des activités et ateliers permettant aux touristes de fabriquer des objets artisanaux, mais aussi de partager un repas ou même dormir sur place dans une maison d’hôte.
Cela se traduit notamment par la création d’une équipe qui va gérer et écouter les envies de chacun. Des rencontres entre les villageois sont organisées régulièrement pour évaluer qui veut travailler dans le tourisme et de quelle manière. Ils discutent de ce qui va bien, de ce qui doit changer et de l’opportunité d’inclure de nouveaux projets. Officiellement, le village a opéré la transition en tourisme communautaire en 2016. Il est le premier et seul village Padaung à ce jour à avoir cette distinction.
À noter également que cette orientation vers un tourisme durable passe par la préservation de l’environnement. C’est ce qui a valu à ce village la nomination dans la liste des 3 sites touristiques thaïlandais parmi les 100 sites les plus respectueux de l’environnement, que j’évoquais dans mon article précédent et qui m’a poussé dans la création de celui-ci.
Se rendre à Huay Pu Keng
Là où il y a déjà une distinction notable avec les autres villages, c’est la manière d’y accéder. Ici, pas de route menant directement au village… enfin presque. Vous aurez bien évidemment une longue route serpentant le long de la vallée, vous amenant à proximité du village. En fait juste en face, mais le village en lui-même est accessible uniquement par bateau.
La version courte étant celle que j’ai faite, j’ai conduit depuis le centre de Mae Hong Son (une vingtaine de kilomètres; donc comptez 30 minutes) jusqu’au parking en terre. Il reste plus qu’à prendre une embarcation de l’autre côté de la rivière Pai. Dans ce cas, la traversée est facturée 50 bahts par personne, aller (d’après mon souvenir, malheureusement, je ne l’ai pas noté et impossible de retrouver l’info quelque part). Ça fait proportionnellement cher puisqu’il y a à peine 50 m pour effectuer le franchissement, mais bon, c’est le jeu et c’est l’un des seuls moyens de gagner leur vie pour les hommes du village.
Vous pouvez aussi, si vous n’êtes pas véhiculé par exemple, prendre un taxi depuis le centre de Mae Hong Son et vous rendre au quai marqué : Ban Tha Pong Daeng Tourist Pier, à 5 km du centre. Il y en a également un autre 3 km plus au sud : Huai Dua Tourist Port. Notez que le bateau possède ses limites, car en saison sèche, de mars à mai, le niveau de l’eau pourrait ne pas être suffisant pour naviguer jusqu’au village. Et à l’inverse, au plus fort de la saison des pluies vers septembre/octobre, le débit pourrait être trop fort et empêcher également la circulation.
De ce que j’ai lu, Huai Dua semble être le quai de prédilection pour se rendre au village, vous pourrez y affréter un bateau entier pour 800 bahts, jusqu’à 7 personnes, pratique si vous êtes une famille nombreuse ou en groupe. Au passage, une petite précision concernant la dénomination, les Thaïs l’appellent Baan Nam Piang Din, ne vous étonnez donc pas si vous voyez ou entendez ce terme, Huay Pu Keng étant le nom birman du village.
Mes impressions sur Huay Pu Keng
Je tiens à le dire tout de suite, la formule reste la même qu’ailleurs. Il y a un droit d’accès au village et vous y trouverez plusieurs boutiques vendant des objets similaires. Mais la similarité s’arrête là. Comme le décrit elle-même une autre agence locale :
La rue principale du village est clairement aménagée pour gagner de l’argent auprès des visiteurs (…si l’entrée payante ne vous a pas mis la puce à l’oreille). Cependant, la transition de la zone touristique à la vie simple du village environnant est presque transparente – quelque chose que vous ne vivrez pas dans les villages vitrines « long neck » de Chiang Mai ou de Chiang Rai, et même plus immersif que d’autres villages Karen à long cou de la province de Mae Hong Son.
Lors de ma venue, en début de cette année (2022), j’avais payé 200 bahts l’entrée au village. Je vois souvent les sites parler d’un tarif de 250 bahts, mais je me demande si ce n’est pas du coup 200 bahts le village lui-même plus les 50 bahts de la traversée, mais en gros, ça vous donne une idée du prix. Pour rappel, certains villages chargent jusqu’à 500 bahts ! Donc on est dans une fourchette raisonnable et de plus, on sait que cet argent-là va bien pour le village et ses habitants.
Je précise au passage que le fait d’être encore en période « covid » (donc avec le pays relativement fermé aux touristes) a participé dans mon choix de tenter ma chance à revisiter un tel village. Car n’oublions pas qu’en raison de leur statut de résidents sans nationalité thaïlandaise, les villages Padaung dans leur ensemble, lourdement dépendant du tourisme, n’étaient pas éligibles aux aides spéciales mise en place par le gouvernement pendant la pandémie.
Déjà qu’en temps normal Huay Pu Keng n’est pas non plus propice au tourisme de masse, en cette période, c’est le calme plat, d’autant qu’il est tôt, à peine 8 h du matin. C’est donc en étant les seuls touristes qu’on débarque sur la rive du village. Un plan du village est affiché juste à côté du panneau d’entrée, permettant de comprendre l’emplacement des différents points d’intérêts, mais aussi de l’étendue du village qui ne se résume justement pas qu’à une allée commerciale.
Malgré cette heure matinale, on ne tarde pas à croiser les premiers étals déjà prêts. On rencontre alors nos premiers hôtes, avec des anneaux caractéristiques autour du cou. Et il faut dire ce qui est, c’est plutôt tout sourire qu’on est globalement accueilli.
En s’avançant dans l’allée principale, on a vraiment l’impression d’être dans un « vrai » village, chacun vaque à ses occupations et certes, y’a des marchandes, mais comme dans n’importe quel village destiné à recevoir des touristes.
On se plonge facilement dans l’ambiance d’un vrai village de montagne, ce qui, techniquement, l’est d’autant bien quand on voit les infrastructures qu’il contient. En vrac, on n’y trouve pas une, mais deux églises (une catholique et une protestante), une petite clinique, un centre éducatif, une crèche, un terrain de foot, une école et même une librairie à côté.
Après, si la première impression reste bonne, tout n’est pas parfait, car on retrouve les « travers » de ces villages. Les étals se suivent et se ressemblent. Et bien que la carte à l’entrée du village indique bien qu’il y a un centre de sculpture de statuettes en bois (pas vu opérationnel) et un centre de tissage (pas actif non plus, mais je réitère le contexte, en plein covid, le stock devait être plein donc pas besoin d’en produire à ce moment là), difficile de penser que tout est réellement fait sur place. Avec ça, je ne peux m’empêcher la réflexion qu’avec toutes ces vendeuses (et encore, on voit que certaines maisons ne vendent actuellement pas/plus), je sais pas comment elles arrivent à s’en sortir et à vendre suffisamment…
C’est avec cette pensée en tête que je commence la visite en allant simplement tout droit le long de l’artère principale qui traverse le village. Se faisant, on arrive au pied du centre éducatif, ou des statues de Bouddha semblent vouloir rappeler qu’ici, c’est le Bouddhisme qui domine. Sauf qu’on est dans un village Padaung, et comme souvent avec les ethnies montagnardes, le bouddhisme n’est pas la religion dominante, ce qui m’amène au point de visite suivant, le site sacré du village (indiqué n°6 sur la carte). Les Padaungs sont avant tout animiste et vont rythmer l’année avec des rites brahmaniques.
L’une de ces cérémonies se passe fin mars/début avril, et marque leur nouvel an. Ils le célèbrent avec l’érection d’un poteau sacré en bois appelé Khankwan, et marque le rassemblement de tous les esprits. Dans leur dialecte, on l’appelle Poy Ton Tee, ce qui signifie cérémonie de l’arbre-parapluie, car au sommet du poteau, se trouve une décoration en forme de parapluie. Les festivités durent trois jours et comprennent un large éventail d’activités incluant de la musique, de la danse, des compétitions sportives et des séances de lecture divinatoire.
On se perd ensuite dans les petites rues perpendiculaires à l’allée centrale, et, après un passage sur un petit pont en bois, on se retrouvent sur le stade du village. Un bel espace pour que les enfants de l’école voisine puissent se défouler.
Pour l’anecdote, en suivant la route qui longe la vallée depuis la route nationale 108, je me suis assez vite retrouvé à suivre une petite voiture. La route longe la rivière Pai sur 6 km et passé un dernier carrefour, en dehors de Huay Pu Keng, un autre petit village et un petit temple isolé un peu plus loin, c’est en impasse (en fait, on arrive à la frontière, puisque cette dernière est à seulement 5 km à vol d’oiseau du village).
Je me faisais la réflexion, « tiens, peut-être d’autres touristes, locaux a priori, qui viennent aussi au village ». Cela me donnait raison lorsque je voyais la voiture prendre le même chemin de terre pour arriver au parking du village. Vous l’aurez deviné, vu l’heure matinale, c’était l’institutrice du village qui démarrait sa journée.
Prochain arrêt, l’église catholique. L’autre église, protestante, étant fermée. Je ne sais d’ailleurs pas si une église est plus rattachée à l’une des ethnies que l’autre, puisque, pour rappel, les Padaungs partagent le village avec des Kayaws, qui signifie « grandes oreilles », en référence aux grandes boucles d’oreilles que les femmes portent. Kayaws qui pour le coup, je ne croiserais pas du tout ce jour.
Il faut admettre que cette dernière dénote. On sent qu’un beau budget y a été mis et en jetant un œil à l’intérieur, ça confirme ce sentiment, c’est tout nickel, tout neuf. Ça contraste avec les modestes maisons en bois qui l’entoure. En remontant vers la rue principale, je croise un atelier d’assemblage de panneaux avec des feuilles séchées, utilisées pour couvrir certains toits (plus ceux des terrasses que des maisons elles-mêmes, qui utilisent surtout de la classique tôle ondulée).
Cela fait en gros une bonne heure qu’on déambule à travers le village. On a croisé assez peu de monde au final (des locaux je veux dire, en touristes on est resté les seuls), ce qui fait que ça donnait un sentiment de vide, manquant un peu d’animation. Après, je me doute qu’en temps normal ça doit être plus actif.
Notez qu’outre les ateliers de confections, vous pouvez prolonger votre expérience en dormant sur place dans l’un des homestays du village, qui peut être l’occasion de passer un moment plus privilégié avec ses habitants. De plus, j’ai vu qu’il est possible de faire un petit trek dans la jungle derrière, menant à une petite grotte. Une balade de 30 min aller donc une heure en tout, si jamais vous avez le temps.
Les femmes au long cou, symbole d’un passé révolu…
Je tenais à terminer cet article sur une note liée à l’évolution du monde et par conséquent, du tourisme, et donc à l’avenir de ce genre de village. Il est évident qu’avec la pression sociale, les villages « long neck » auront du mal à subsister en tant qu’attraction et peineront à continuer d’attirer les curieux dans la mesure où les femmes portant les anneaux disparaissent avec les nouvelles générations. Aujourd’hui, seules les anciennes les portent encore naturellement.
Pour les jeunes filles Padaung qui sont nées en Thaïlande, elles portent rarement les anneaux ni même leurs vêtements traditionnels dans la vie quotidienne. En particulier, les jeunes qui veulent étudier dans une école ou une université au même titre que les citoyens thaïlandais ou birmans. L’un des principaux facteurs est que la nouvelle génération de Padaung pense que plus ils sont éduqués, plus ils obtiennent une bonne qualité de vie.
Une façon bien évidemment honorable de vouloir s’adapter pour espérer un meilleur futur, quitte à « sacrifier » sa culture. Plutôt qu’un sacrifice, j’y vois une évolution. Déjà, parce que ne pas porter de collier n’est pas l’apanage des Padaungs résident en Thaïlande. Le témoignage d’une jeune fille Padaung prénommé » Mangi « , le démontre en évoquant qu’elle ne portait déjà pas d’anneaux lorsqu’elle vivait en Birmanie. Autre témoignage instructif, celui de » Pang « , sur la perception qu’elles ont de leur propre culture.
Évoquant sa décision de ne pas porter les lourds colliers en laiton comme les filles des autres villages (ceux justement évoqués dans cet article, Ban Huay Sua Thao, Ban Nai Soi, et Ban Huay Pu Keng), elle explique d’abord que c’est de la timidité, mais aussi de par la différence et la bizarrerie qu’elle ressent à porter cet attribut. Elle veut s’habiller normalement pour ressembler aux gens « ordinaires » fréquentant l’école et se fondre dans la société.
Autant dire que croiser des « femmes girafes » va devenir une rareté. Et si le phénomène perdurera encore quelque temps à travers ces villages, pas sûr que cela soit pérenne. Une autre bonne raison pour moi de visiter Huay Pu Keng incessamment sous peu, car plus le temps passera, plus le maintien de cette tradition sera artificiel.
Mes sources
Elles sont anglophones, mais je tenais à mettre mes sources qui m’ont aidés à rédiger cet article pour les explications :
- https://www.fairtourism.nl/en/kayan-thailand-en-2/
- https://www.irrawaddy.com/photo-essay/kayan-long-neck-refugees-myanmar-struggle-thailands-tourism-crashes.html
- https://www.thailandhilltribeholidays.com/visit-long-neck-village/
- http://ithesis-ir.su.ac.th/dspace/bitstream/123456789/2352/1/57056961.pdf (toute une thèse sur le peuple Padaung, en anglais)
- https://www.travelfish.org/beginners_detail/thailand/78
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BONNOTTE
Un point de vue bien documenté et argumenté en plus de l’expérience personnelle de l’auteur de cette article.
Passionnant et enrichissant @
Romain
Bonjour,
Merci beaucoup pour ce compliment !