Kudee Jin : le quartier sino-portugais méconnu de Bangkok
Kudee Jin, que l’on prononce Koudi Tchinne en bon français (aussi orthographié Kudi Jin, Kudee Chin ou Kudi Jeen), est une communauté située sur la rive droite du Chao Phraya, dans le quartier de Bangkok dénommé Thonburi.
Ce genre d’article veut illustrer qu’en dehors des principaux sites de visites incontournables, il y a beaucoup à apprendre sur l’histoire de la ville et ces différentes communautés qui la composent, et que, pour ceux qui n’aime pas les grandes villes, Bangkok ce n’est pas que des grands magasins, des bouchons et du bruit.
Le mot Jin étant une prononciation à la Thaïlandaise qui désigne les Chinois, le nom de cette communauté serait une référence à l’église portugaise construite par les Chinois dans ce quartier bordant le Chao Phraya, côté Thonburi, selon les versions, ce nom viendrait aussi simplement de la présence d’une communauté chinoise qui s’était installée dans cette partie de la ville.
Kudee Jin, c’est la perspective d’une belle balade qu’il est possible de faire dans ce petit coin de Bangkok, très très peu visité, car il faut être un minimum connaisseur et curieux, peu de gens s’aventurant côté Thonburi de manière générale, et pourtant, il n’y certainement pas que le Wat Arun, temple que l’on ne présente plus et qui se trouve lui aussi de ce côté-ci de la rivière (je ne manquerai pas de faire un récapitulatif sur Thonburi un de ces jours).
Petit tour d’horizon de ce vestige d’un ancien royaume !
Une communauté multi-ethnique et religieuse, vivant en harmonie
Ancien royaume ? Oui, car avant de s’installer sur la partie aujourd’hui connue comme l’île de Rattanakosin, incluant tous les principaux sites comme le Grand Palais et le Wat Pho, Thonburi, fut juste avant capitale d’un royaume éphémère, le royaume de Thonburi; sous le règne du général qui devint roi, Taksin le Grand (qui n’a rien à voir avec l’homme politique au nom similaire, à l’origine des troubles politiques ces dernières années…)
À cette époque, les Birmans venaient de mettre à sac Ayutthaya (en 1767), détruisant et brûlant tout au point que la cité était devenue un champ de ruines, trop compliquée à reconstruire.
Après avoir finalement repoussé ces envahisseurs à peine un an plus tard, ceci, grâce en partie avec l’aide des portugais, déjà présents à Ayutthaya et ayant un accord commercial incluant notamment l’apport d’armes et munitions européennes, Taksin fondait sa nouvelle capitale 60 km plus au sud, sur les rives du Chao Phraya, côté ouest.
Il a accordé des terres à l’embouchure sud du canal de Bangkok Yai (qui était autrefois le cours d’eau naturel de la rivière) aux populations qui ont pris part à l’effort de guerre.
Parmi eux se trouvaient des Lao, Khmer, Chinois et Portugais. Ce méli-mélo de religions et cultures multi-ethniques a constitué la base du caractère distinctif de cette communauté au bord de la rivière, aujourd’hui connue sous le nom Kudee Jin.
Et cette communauté est un très bon exemple du savoir-vivre ensemble, puisqu’ils vivent en paix depuis des siècles.
Arrivé à la fin du royaume de Thonburi (après seulement 15 ans), cette partie de la ville était devenue une zone résidentielle de gens haut placés et des bureaucrates, principalement des Chinois et surtout des Portugais.
Les points d’intérêts à Kudee Jin
Les petites rues de Kudee Jin
Son charme réside dans son ensemble de ruelles, bordé par de vieilles maisons en bois, dont certaines sont un héritage rare de cette époque, la plupart des vieilles bâtisses ayant tendance à disparaître à Bangkok… Celle ci-dessous est la maison de Louis Windsor, et, en tant que personne de la classe aisée, s’était construit cette belle demeure sur les bords du Chao Phraya, dans un style apprécié à l’époque, appelé ‘maison pain d’épice’ (Gingerbread House), popularisé par les contes des frères Grimm. À son époque, cette maison était connue comme la « maison bleue », autant dire qu’elle a perdue de sa superbe, faute d’entretien.
On y découvre un endroit calme, un savant mélange entre traditions chinoise et portugaise, croisant çà et là des devantures de portes à la gloire de Jésus et, plus loin, un sanctuaire chinois.
Quelques œuvres d’art de rues décorent aussi des pans de mur. Le tout donne une impression d’autre « part », d’un lieu un peu hors du temps et hors de Bangkok même.
Kian An Keng Shrine
L’une des explications sur l’origine du nom viendrait, je le disais plus haut, du fait qu’une majorité de ses habitants au cours de la période de Thonburi étaient des Hokkiens (Chinois provenant de la province du Fujian).
On y trouve donc un sanctuaire Chinois, qui est géré par une famille, génération après génération. Il y aurait eu 2 sanctuaires à l’origine, Cho Sue Kong et Kuan U, construits par les commerçants Chinois qui ont suivi le nouveau roi Taksin à Thonburi.
Sous le règne du roi Rama I, au tout début de l’ère Rattanakosin, la plupart des résidents se déplacèrent vers le nouveau Chinatown, situé vers la Soi Sampheng. Les deux sanctuaires ont alors été laissés à l’abandon, jusqu’à ce qu’un autre groupe de Chinois Hokkien décide de démolir et de fusionner les 2 sites pour en faire un seul lieu de culte.
Une image de la déesse de la miséricorde, Kuan Im a été installée à l’intérieur à la place des anciennes statues et le site a été par la suite renommé sanctuaire de Kian An Keng (aussi orthographié Kian Un Keng).
L’église portugaise de Santa Cruz
À la chute d’Ayutthaya, les Portugais de la vieille capitale s’étaient installé près du nouveau palais du roi Taksin (situé à côté de l’actuel Wat Arun, qui était alors le temple royal). En reconnaissance de leurs services, le roi Taksin a accordé aux Portugais une parcelle de terrain afin d’y construire une église.
Un décret fut officialisé le 14 septembre 1769, au cours de sa visite royale dans ce village. Parce que cette date coïncidait avec la fête catholique du triomphe de la Sainte-Croix, l’église fut nommée Santa Cruz (Sainte-Croix).
La première version était une structure tout en bois, achevée le 25 mai 1770, en faisant l’un des édifices religieux les plus vieux à Bangkok encore en activité !! Par comparaison, le Wat Phra Kaew, dans l’enceinte du Grand Palais, ne date « que » de 1782 !
Malgré son activité ininterrompue, l’église en bois va peu à peu tomber dans un état de délabrement. En 1835 était alors construit une deuxième église pour remplacer l’originale. C’est à cette époque, en raison de l’influence architecturale chinoise de l’église rénovée, et de la main d’œuvre, principalement de la communauté chinoise voisine, que les gens l’auraient surnommé Kudee Jin ou « église chinoise ».
C’est pourquoi l’église de Santa Cruz est aussi parfois dénommée Wat Kudi Jeen. Entre-temps, 2 écoles catholiques ont fait leur apparition autour de l’édifice religieux.
Dès 1913, la deuxième version était déjà en mauvais état, la troisième et actuelle version de l’église Santa Cruz fut alors construite sous le règne du roi Rama VI (1910-1925) et complété en 1916.
Cette version a été conçue par les deux célèbres architectes italiens Annibale Rigotti et Mario Tamagno. Ces 2 architectes étaient alors en contrat avec le gouvernement siamois et sont à l’origine de plusieurs édifices connus dans la capitale, pour ne citer que ceux-là, la gare de Hua Lamphong, le Ananta Samakhom Throne Hall, l’hôtel du gouvernement (équivalent de Matignon en France).
C’est dans ce coin que je rencontrais un artiste affalé sur sa chaise longue en train de tranquillement peindre un portrait de la vierge Marie, c’est un descendant de ces immigrés Portugais et fervent catholique.
Kanom farang Kudee Jin
Le nom tout trouvé pour ce dessert, basé sur une recette portugaise, signifie littéralement le dessert étranger de Kudee Jin.
Dans la zone autour de l’église de Santa Cruz, comme évoqué précédemment, beaucoup d’immigrants portugais partageaient ces terres avec notamment les chinois, si aujourd’hui la plupart ont été assimilés avec la population locale, il en est resté cette habitude culinaire, en particulier leur goût pour les gâteaux et pâtisseries.
Cette « habitude », transférée aux populations asiatiques locales, a bénéficié de leur petite touche, créant ainsi le dessert farang kudee jin.
La recette de base est simple et contient des œufs, du sucre et de la farine de blé. Sur le gâteau est ajouté des grains de raisins secs, mais on en trouve aussi avec du melon, du jujube (une sorte de datte chinoise) ou de la pomme.
On peut donc trouver dans ce quartier plusieurs boutiques fabriquant et proposant toujours cette pâtisserie, dont le secret de fabrication est jalousement gardé, je m’étais fait gentiment prier de ne pas prendre de photos de l’intérieur de l’une d’elles, alors qu’on m’invitait cordialement à venir y goûter à côté.
Wat Kalayanamitr
Ce grand temple royal de second rang a été construit vers 1825, après qu’un terrain bordant la rivière fut donné par le fils d’un noble, un proche du roi Rama III. Ce noble, descendant de la famille dont le nom était justement Kalayanamitr (ce mot signifiant « bon ami »), a voulu dédier ce terrain à la construction d’un temple, à la gloire de Rama III, dont celui-ci le nomma Wat Kalayanamitr, en remerciement du dévouement de son ami.
La proximité avec la communauté Chinoise présente à Kudee Jin a influencé l’architecture du temple. Bien que le wiharn principale du temple (lieu de prière abritant la principale image de Bouddha) est construit dans un style traditionnel thaïlandais, les bâtiments voisins tels que l’ubosot (salle d’ordination pour les nouveaux moines), sont typiquement d’influence chinoise en terme d’architectures et de décorations.
Çà et là, on retrouve des références directes, comme l’encens utilisé, les statues de guerriers chinois, et même la statue de Bouddha situé en ces lieux. La statue en question, présente dans le haut wiharn mesure 15 m de haut pour 12 de large et est toute recouverte de feuilles d’or.
Les Thais connaissent cette statue sous le nom de Luang Pho To, dénommé Sam Po Kong par les Chinois, ces derniers respectent beaucoup cette image, dont la croyance veut qu’en l’adorant, on peut s’attirer une bonne compagnie et voyager en toute sécurité.
On peut aussi y voir des peintures murales représentant la vie de l’histoire de Lord Bouddha (Gautama Sidartha) et les façons dont les gens vivaient sous le règne du roi Rama III.
On y trouve aussi sur le côté la plus grosse cloche de Thaïlande et le temple abrite l’une des plus grosses librairies bouddhistes de la ville.
En bref, à l’instar de son presque voisin temple du Wat Arun, celui-ci possède un cachet indéniable, mais sans le monde et avec cette sorte de zénitude qui y règne autour.
Wat Prayoon
Également nommé Wat Rua Lek, le Wat Prayoon (dont le nom officiel est Prayurawongsawas Waraviharn, preuve en est qu’il n’est pas facile de s’y retrouver avec les noms de lieux en Thaïlande…) peut aussi valoir le coup d’oeil si vous vous baladez vers Kudee Jin. Le temple est situé sur la partie sud de la communauté, à côté du pont Saphan Phut (Memorial Bridge), le premier pont routier traversant la rivière Chao Phraya entre Bangkok et Thonburi (en 1932).
Construit également pendant le règne de Rama III, ce temple, outre son grand chedi blanc, possède sa petite « touche », une petite « montagne » aux tortues, au pied duquel se trouve un bassin où les visiteurs peuvent justement nourrir ces charmantes petites bêtes.
Comment se rendre à Kudee Jin
La meilleure façon pour vous y rendre est par bateau en traversant le Chao Phraya, au plus court, depuis le quai derrière le marché aux fleurs de Pak Klong Talat (marché aux légumes et fleurs fraîches), au bout du par ailleurs sympathique Yopdiman Walk, ancien dock rénové avec des restaurants, café, etc.
Depuis l’embarcadère du Wat Kalayanamit, Kudee Jin est juste à côté, à commencer avec le sanctuaire chinois tout proche. L’église de Santa Cruz est quant à elle à moins de 300 m.
Il est aussi possible de rejoindre le Wat Kalayanamit depuis le Wat Arun, vous aurez alors environ 1 km de marche. Depuis le marché aux fleurs, vous pouvez traverser à pied le Memorial Bridge qui traverse le Chao Phraya et rejoint la partie sud de Kudee Jin au niveau du Wat Prayoon.
Kudee Jin, les références et points d’intérêts sur une carte
Ce qui m’a aidé
Parce qu’il faut rendre à César ce qui appartient à César, voici mes sources (anglophones) qui m’ont servi pour la rédaction de cet article :
Sur l’église Santa Cruz et Kudee Jin :
- http://www.tour-bangkok-legacies.com/santa-cruz-church.html
- https://www.travelfish.org/sight_profile/thailand/bangkok_and_surrounds/bangkok/bangkok/1783
Sur les pâtisseries :
Sur le temple Wat Kalayanamit :
- https://www.travelfish.org/sight_profile/thailand/bangkok_and_surrounds/bangkok/bangkok/1800
- http://templesinbangkok.com/wat-kanlayanamit
L’article vous a plu ? partagez sur le Pinterest !
Voulez vous connaitre plus de quartiers comme celui-ci à Bangkok ? Tentez par une exploration plus approfondie de Bangkok ?
The City and Beauty
Coucou ce n’est pas un pays qui m’attire(je ne sais pas pourquoi) mais très sympa, j’ai partagé j’ai un pote qui y va souvent
Romain
Coucou,
Je dirais juste que chacun a ses propres préférences, comme on dit, les goûts et couleurs… mais je t’invite à te faire ta propre idée un jour 😉
Stephanie
Superbe ! Je me baladerai bien dans les ruelles de Kudee Jin!
Quant à l’église portugaise, je n’aurais jamais cru qu’il y en avait une, c’est étrange 🙂
Romain
A vrai dire ce n’est pas non plus la seule ! Un peu plus loin de l’autre côté de la rivière, il y a aussi la holy rosary church ! Sans être portugaise, il y aussi d’autres églises à Bangkok et même une cathédrale !
Brice
Je le dis pas souvent mais là ça donne envie d’aller en Thaïlande 🙂
Romain
Ah ah ! Merci beaucoup, ça veut dire objectif rempli pour moi 😉
Axium
Merci de nous faire (re)-découvrir cet endroit plein de charme ! Après 6 passés à Bangkok, je découvre de nouveaux trésors chaque semaine !
Romain
De rien ! Et oui, même moi après 8 ans je découvre encore de nouveaux endroits (et c’est pas fini)
David
Merci pour ce blog, je part en Thaïlande du 21 novembre au 2 décembre 2016 j irai peut être faire un tour dans ce secteur je suis entrain de faire mon circuit et j adore. Je serai avec mon épouse et ma plus grande fille. Si tu as d autre truc sympa. MERCI
Sabine
Je sens que je vais trouver mon bonheur sur ton blog, que je découvre ! Après 1 an en Thaïlande je ne suis encore pas passée par la case Bangkok, je t’avoue que les trop grosses villes et moi, ça fait 2. Chiang Mai c’est juste ce qu’il me faut, le maximum disons :D. Du coup, pour le nouvel an on se fait un petit tour à Bali, passage obligatoire à Bkk pour changer d’avion donc on a choisi d’y passer une journée, je n’ai pas encore trop choisi ce que je voulais voir, mais déjà ton article me donne plus envie d’y aller, bien plus que la version bouchon, touristes et arnaques. Je vais continuer mes recherches sur ton blog pour décider du sort de cette journée 😛
Romain
Bonjour Sabine,
Pour ça, chacun ses goûts. Après si Chiang Mai plait en général beaucoup, ça reste tout de même une grande ville (la 4e plus grande ville en terme de population, c’est quand même pas rien) Je suis content que mon article te donne envie de pousser un peu la visite à Bangkok, qui sait aussi offrir des coins charmant sans tomber dans le côté mégapole grouillante qu’on peut lui connaitre et associer. Bonne lecture sur mon blog 😉
cnn13
Nous nous y sommes promenés cet été à l’occasion de notre 3eme séjour à Bangkok et nous avons beaucoup apprécié ce quartier différent et étonnant. Alors merci d’avoir partagé !
Romain
Bravo alors ! Il n’y a pas beaucoup de curieux s’aventurant de ce côté ci de la rivière, et pourtant, vous avez pu constater que ça a son charme !
Donadio Annie
Pour mes 2 premiers voyages en Thaïlande, j’ai beaucoup lu ton blog. je prépare le 3em (en 2 ans) et je me régale avec toutes tes infos. Je prévois 4 jours à Bangkok, pour faire Thomburi et les klongs, Bang Krachao, et les marches de Mae Klong, Amphawa et Tha Tak.
J’arrive à 10h30 à la gare de Thomburi (en venant de Kanchanaburi. Penses tu que dans la journée je peux faire les klongs et découvrir Kudee Jim ?
As-tu un hôtel bien placé à me conseiller pour Thomburi ?
Si tu as des tuyaux pour Bang Krachao, (comment y aller depuis Thomburi et où dormir) merci par avance
Cordialement
Annie et Michel
Romain
Bonjour,
Il est tout à fait faisable de faire les klongs ET Kudee Jin, même en commençant à 10h30. A vrai dire le seul hôtel que je connais personnellement de ce côté ci est le Siamotif Boutique Hotel mais je ne sais pas si ça correspond à votre budget…
Pour ma part je me rends toujours à Bang Kachao depuis le quai à côté du Wat Klong Toei, à côté du port de Bangkok (aussi connu sous le nom de Klong Toei Port). Toujours en bateau, l’accès principal se fait depuis le quai Sanphawut pier. Sinon il reste toujours la possibilité de s’y rendre en taxi.
Là encore, je connais essentiellement qu’un hôtel, le Bangkok Tree House mais il est assez cher…
Audrey cauris&co
Bonjour,
Merci pour cet article..
On ira faire un tour demain quand nous serons vers le marché au fleur et au wat arun.
Super article et top la carte google!!
Romain
Merci ! J’espère que vous apprécierez la visite !
marjorie
super article, je compte bien m’y rendre en aout-septembre, un très grand merci