La Thaïlande est connue pour ses traditions et coutumes uniques au monde. Grandement influencé par le bouddhisme, le peuple thaï est très spirituel, voir superstitieux. Il a d’ailleurs su conserver de nombreuses coutumes liés aux esprits et à la magie. Parmi celles-ci, le sak yant occupe une place particulière. Il s’agit d’un rituel de tatouage porte-bonheur que les habitant du pays du sourire connaissent depuis des générations. Lorsqu’on parle de sak yant, le nom d’un temple bouddhiste surgit directement; le (célèbre) Wat Bang Phra.
Qu’est-ce que le Sak Yant ?
Juste pour clarifier, cette partie est rédigée par moi même (donc Romain, l’auteur de ce blog), mais l’intro ainsi que la suite est l’oeuvre d’un invité, merci donc à Cyril du site La Porte Du Bonheur pour l’écriture de cet article et témoignage de la suite de ce récit. Cela m’a permis d’aborder ce sujet que j’aurais autrement pas forcément écrit de sitôt, non pas qu’il est inintéressant en soit, mais je ne suis pas fan de tatouage en général.
Et pour compléter l’article, je tenais à le commencer avec une explication de base, en quoi consiste le tatouage que l’on nomme « Sak Yant ». Car on ne parle pas là d’un tatouage ordinaire. Cyril le décrit comme porte-bonheur, l’image va même au-delà, car on va même jusqu’à lui accorder des pouvoirs magiques. Et pour comprendre ce que c’est, intéressons nous d’abord à l’origine des mots le composant.
Sak est un nom thaï qu’on peut traduire par taper ou simplement tatouer, et yant, provient du mot sanskrit « yantra », qui désigne une représentation ou dessin sacré. Un sak yant est donc un tatouage qui mélange des formules sacrées, les « mantras », associés à des figures ou dessins (les yantras donc) que l’on se tatoue, généralement sur le dos. Ce type de tatouage sacré est uniquement prodigué par des hommes (idéalement des moines bouddhistes, mais parfois juste des brahmanes).
Le sak yant n’est pas propre qu’à la Thaïlande et se retrouve à travers toute l’Asie du Sud-est, majoritairement adepte du bouddhisme Theravāda. On le retrouve donc au Cambodge, Laos, ainsi qu’au Myanmar en plus de la Thaïlande. Le sak yant puise ses origines dans le tantrisme. Ces doctrines évoquent le fait de porter un yantra comme censé apporter des bienfaits spirituels, voire magiques. Une croyance englobant ses origines dans l’hindouisme, ou même le jaïnisme, avant d’être transposé au bouddhisme. Mais cette croyance englobe aussi des traditions animistes qu’on retrouve dans toute cette partie de l’Asie du Sud.
En gros, ces tatouages sont considérés dans ces pays comme ayant la capacité de déverrouiller certains pouvoirs invisibles par défaut. L’animisme impliquant la croyance que le monde qui nous entoure est rempli d’esprits qui anime les êtres vivants, mais aussi les objets tout comme les éléments naturels. De ce fait, se faire tatouer un sak yant offre une protection à son porteur et apporte la chance ou autres propriétés selon les textes et dessins choisis en faisant éventuel appel à ses esprits invisibles au commun des mortels.
Comment se déroule une séance de Sak Yant ?
Le moine tatoue en fait avec une énorme tige de métal ou de bambou… Croyez-moi bien que si vous n’étiez pas sûr à 100% de vouloir un tatouage porte-bonheur, ce n’est pas voir ça qui vous fera changer d’avis ! Typiquement, mes personnes proches de celui qui est tatoué aident les moines à le maintenir et à l’empêcher de bouger, vu la douleur à supporter via cette méthode traditionnelle, qui peut être plus forte qu’un tatouage moderne.
Le moine bouddhiste utilise une seule aiguille fine et longue d’environ 40 cm de long et de 3 millimètres de largeur. Le bout de la pointe est divisé en deux (comme une canne fendue), de sorte que chaque coup dépose deux points d’encre dans la peau. Parfois, le tatoueur aiguisera l’aiguille avec du papier de verre fin avant de commencer.
Le moine trempe l’aiguille dans l’encre toutes les 30 secondes environ. Une fois terminé, il bénit le tatouage et y souffle un Kata sacré (Ghata) pour lui insuffler du pouvoir. Il s’agit là d’un rituel très puissant issu du bouddhisme.
Pour les hommes, le moine utilise l’encre au fusain. Pour les femmes, il utilise une encre transparente et se munira de gants, afin de ne pas toucher de corps féminin (chose qui leur est formellement interdite).
L’utilisation d’huile au lieu de l’encre permet de ne pas colorer la peau. L’aiguille créera toutefois des zébrures rouges qui resteront pendant quelques jours. Après cela, le tatouage sera « invisible » mais sa magie, elle, continuera de faire effet.
Avant d’espérer recevoir le moindre tatouage porte-bonheur, sachez que vous devrez faire un don aux moines. Une partie ira à celui que vous tatoue, et le reste aidera à remplir les caisses du temple. Cela me semble être un fonctionnement tout à fait correct.
Le festival du tatouage porte-bonheur
Chaque année se tient dans un temple nommé Wat Bang Phra l’un des rassemblements les plus remarquables de Thaïlande : le célèbre festival des sak yant. Situé à quelques heures de route de Bangkok, Wat Bang Phra est réputé pour le travail de qualité de ses moines lorsqu’il s’agit de tatouages porte-bonheur. Ce ne sont pas de simples décorations sur la peau : pour les Thaïs, ces tatouages sont de puissants symboles bouddhistes de protection qui, selon eux, peuvent éloigner les mauvais esprits, la malchance et même apporter une protection physique contre les blessures.
Le festival poursuit en réalité un but bien précis. Les participants y reçoivent une bénédiction sur leurs tatouages porte-bonheur, et ainsi voient leurs pouvoirs être renouvelés. Certains racontent que les tatouages ont une telle puissance, qu’il n’est pas rare de voir des personnes parmi ceux qui assistent à la cérémonie devenir comme possédés par l’esprit d’animaux représentés sur leur tatouage porte-bonheur.
Cela peut sembler assez stupide dans l’absolu, mais croyez-moi, vous ne voulez vraiment pas interrompre quelqu’un qui se croit être possédé par l’esprit d’un tigre… Tout du moins, tant qu’il n’est pas retenu par ses camarades ou par les moines résidents. Bien que le festival n’ait lieu qu’une fois par an, vous pouvez visiter le temple à tout moment pour discuter avec les moines, voire tenter l’expérience d’un tatouage… Si cela ne vous dérange pas de vous retrouver dans des conditions sanitaires par forcément idéales.
Autre fait intéressant, il est de notoriété publique que ce n’est pas exactement la « crème » des Thaïlandais que nous retrouverons dans ce temple. Bien que les tatouages fassent partie intégrante de la culture thaïe, et qu’ils ne sont par conséquent pas mal jugés dans la société, nous retrouvons une part impressionnante de criminels et de mafieux dans ce genre d’événements. Sans doute une vie de crime implique-t-elle des risques et donc un besoin accru de se sentir protéger par le pouvoir des porte-bonheurs. Bien qu’on ne puisse affirmer cela catégoriquement, il n’en reste pas moins que vous croiserez là de nombreux Thaïs à la gueule patibulaire.
Notamment grâce à ce festival, le temple Wat Bang Phra a commencé à devenir assez célèbre dans les cercles des passionnés de tatouage, chose que j’ignorais totalement. Le net regorge donc d’excellents articles décrivant ce festival, ainsi que les tatouages porte-bonheur bouddhiste : les sak yant. Le temple de Wat Bang Phra est devenu si célèbre qu’il a également sa propre page Wikipédia (pas dispo en français par contre), qui détaille le processus de création d’un tatouage là-bas, et avertit les intéressés que les aiguilles et les encres utilisées pourraient potentiellement ne pas être stérilisées.
Récit d’un festivalier
Je pense à aller au fameux festival de tatouage porte-bonheur dont j’ai entendu parlé. Toutefois, l’énorme foule et le véritable danger physique que cela représente sont pour moi une préoccupation. L’année dernière, un photographe s’est cassé le bras dans la frénésie ambiante. Foule = danger. Hmmm… Cela peut sonner comme une mauvaise idée.
Je crois que Wat Bang Phra se situe à environ 63 km de l’endroit où j’habite à Bangkok, ça me prendra donc plus ou moins une heure et demie pour y arriver… Allez, je me lance. Nous sommes donc arrivés au temple vers 11h45, juste au moment où le moine tatoueur qui réceptionne les visiteurs termine son déjeuner.
Pendant que je me promenais dans les alentours du temple, mon chauffeur de taxi a discuté avec un vendeur de billets de loterie né et ayant grandi dans la région. Les informations que je vais maintenant vous donner ont été transmises de bouche à oreille… Elles peuvent donc être fausses, soyez en conscient. Selon la légende, avant d’être connu, le temple était déjà un haut lieu du Bouddhisme, et abritait un moine nommé Luang Phor Boon. Celui-ci aurait un jour tatoué quatre hommes avec des symboles porte-bonheur de protection. Peu de temps après avoir reçu leur tatouage, les hommes se sont saoulés au whisky, devenant presque fous, ils se sont alors battus entre eux… à coup de pistolet (eh oui, les Thaïs ne se laissent pas faire !)
Aucun n’est mort. Bon d’accord, sauf pour celui qui est mort d’un bambou poussé dans un « endroit très douloureux ». Mais il n’est mort que parce que (apparemment) les tatouages porte-bonheur ne protègent que les parties du corps couvertes de peau… pas les entrées, ni les sorties. Les journaux se sont immédiatement saisi de l’histoire et ont rendu Luang Phor Boon célèbre pour être le moine le plus compétent dans le domaine des sak yant.
Alors que l’argent commençait à couler à flots pour le temple et les disciples du désormais célèbre Luang Phor Boon, des bâtiments ont été ajoutés au site d’origine, faisant de Wat Bang Phra ce qu’il est aujourd’hui. Donc, même si vous n’êtes pas amateur de tatouages, la visite de ce lieu reste intéressante à faire pour tous ceux qui s’intéressent à l’architecture et aux croyances thaïlandaises.
Personnellement, mon plan pour la journée était d’interviewer un moine tatoueur. Lorsque j’ai formulé ma demande (avec les honneurs et politesses de circonstances, bien entendu !) son élève lui a suggéré de le remplacer. Cela faisait sens. Personne n’aurait pu réussir à discuter avec le moine, tant réaliser tous les tatouages porte-bonheur qui étaient programmés dans sa journée était important pour lui (et en plus, je ne voulais pas attendre).
Veuillez noter : ce que je vais maintenant vous présenter n’est pas une retranscription mot à mot de l’interview. Cela a été fait de façon à éviter les nombreuses répétitions dans ce que me racontait le jeune moine. La traduction en thaï a été faite pour partager avec vous les mots et les phrases intéressantes.
Voici donc quelques sujets que nous avons abordés :
- Pourquoi les gens viennent-ils ici pour se faire tatouer ?
Recevoir la gentillesse d’autrui (เมตตา มหา นิยม – mâyt-dtaa má-hăa ní-yom), avoir le pouvoir sur les autres (มี อำนาจ – mee am-nâat), être un leader (เป็น ผู้นำ – bpen pôo nam).
- Et qu’en est-il de la protection contre les blessures physiques (เเ ค ล้ ว คลาด ปลอดภัย – khaelu klâat bplòt pai) ?
Les personnes qui ont ce tatouage porte-bonheur (ลง ยันต์ – long yan = symboles mystiques) (สัก – sàk), seront protégées (ป้องกัน – bpông gan). Mais ils doivent garder une justesse morale (มี ศีล – mee sĕen) et suivre les cinq préceptes (ศีล ห้า – sĕen-hâa).
Leur travail doit également être légal (อาชีพ สุจริต – aa-chêep sùt-jà-rìt).
- Et l’alcool n’est pas interdit ?
Non, il ne l’est pas.
- Quel genre de dessins porte-bonheur les gens reçoivent-ils en général ?
Un Tigre (เสือ – sĕua), un oiseau (หง ษ์ – hŏng = oiseau symbole du peuple Mon), une pie avec une langue dorée (สาลิกา – săa-lí-gaa), le symbole des neuf sommets (เก้า ยอด – gâo yôt), celui des huit directions (เเ ป ด ทิศ – tít bpàet) ou même des dix directions.
- Est-ce vrai que les actes des individus influent sur l’efficacité de vos tatouages porte-bonheur ?
Si le gars avec le tatouage est bon (เป็น ด น ดี มี ศีล – bpen don dee mee sĕen), le tatouage fonctionnera vraiment. Si vous faites de bonnes choses, cela fonctionne. Il répondra à tout ce que vous avez demandé.
- On m’a dit que les capacités des tatouages avaient une durée relativement courte, quelle est-elle ?
Environ un an (เกี อบ ปี – òp bpee).
En résumé, selon mon interlocuteur, si vous êtes une bonne personne et que vous avez un tatouage, vos revenus augmenteront et vos projets se porteront bien. Les gens auront confiance et croiront en ce que vous dites. Si vous êtes un patron, les gens vous respecteront en tant que leader.
Nous considérons donc que si nous sommes bons et que nous avons un tel tatouage porte-bonheur, il amènera notre vie vers le succès.
En plus, les gens qui ont des tatouages auront une « bonne personnalité » (plus de confiance en eux).
Bonus : rappel des cinq préceptes du bouddhisme
Le bouddhisme est régi par cinq préceptes (ศีล ห้า – sĕen-hâa), sorte de 10 commandements raccourcis au plus simple, pouvant varier légèrement dans le texte selon la région dans laquelle vous vous trouvez en Thaïlande. Ils peuvent surtout être différents en fonction de la branche du bouddhisme qui va vous les expliquer.
De bases, les cinq préceptes sont les suivants :
- ne pas tuer
- ne pas voler
- ne pas commettre d’inconduite sexuelle (l’adultère…)
- ne pas mentir
- ne pas prendre de substances altérant l’esprit (boire de l’alcool, drogues…).
Ce qui est aussi interprété de la manière suivante :
- ne pas détruire la vie des êtres sensibles
- ne pas prendre ce qui ne lui appartient pas ou ce qui n’est pas donné ;
- ne pas avoir des relations sexuelles illégitimes ou impudiques ;
- ne pas dire des paroles fausses ou inexactes ;
- ne pas consommer d’alcool ou de drogue.
Cinq règles qui, appliquées à la lettre, vous ferons suivre les traces de Bouddha. Ces préceptes de base, si l’on s’en éloigne pas, garantissent aux pratiquants de ne pas subir le mauvais lors du passage après la vie présente, comme ne pas « rétrograder » dans les mondes inférieurs (monde des animaux, monde des esprits errants et monde de l’enfer).
Et le tatouage dans tout ça ? Et bien s’il n’aide pas en soit à empêcher ses mauvaises actions, il pourrait détourner les mauvais esprits, donc éviter un passage par le retrogradage. Mais aussi pratiquant soient les Thaïlandais, je doute que beaucoup atteignent les voies de la sagesse… avec ou sans tatouages…
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